Il est toujours surprenant de voir à quelle vitesse les informations vraies et fausses peuvent se mélanger et se répandre pour devenir les nouvelles modes.
Il est en ainsi de ce que certains appellent les modules courts ou encore extra-courts.
La raison serait qu’il faut trouver remède à cette maladie du siècle nouveau, le manque d’attention. Le capital d’attention de chaque individu étant très limité, il conviendrait de ne faire que des modules très courts afin que l’apprenant n’ait pas le temps de « décrocher » de son étude. Voilà quelle serait la motivation fondamentale de ces modules extra-courts.
Ce raisonnement procède du même esprit que vouloir allonger le terrain de tennis car le joueur met trop souvent la balle en dehors des limites ou envoyer au diable l’orthographe car les élèves font trop de fautes.
Je ne vais pas contester ici l’intérêt des modules courts car j’ai toujours pu observer que cette approche était pertinente et donnait de très bons résultats. Mais si les modules courts ont un rôle positif dans le processus d’enseignement ce n’est certainement pas à cause du manque d’attention. Leur intérêt principal est qu’ils permettent d’avoir un découpage par thème adéquat et que chaque module mène à un résultat rapide et concret lorsqu’ils sont bien conçus.
Ainsi l’apprenant se voit avancer au rythme où il franchit les étapes et engrange les succès. En d’autres termes, il voit son « capital connaissance » s’accroître concrètement et cet aspect n’est pas négligeable. C’est même un élément clé de la satisfaction.
Revenons donc sur ce manque d’attention dont sembleraient souffrir nombre de nos semblables. Ce qui est observable, c’est que dans beaucoup de cas, l’apprenant décroche de son étude. C’est ce que l’on voit et c’est une observation vraie. C’est la partie visible de l’iceberg.
Alors, s’il y a décrochage, il doit y avoir des raisons à ce décrochage ! Est-ce juste parce que la personne n’arrive pas à rester concentrée sur un sujet plus de quelques minutes ? Serait-elle assise sur quelque braise ? Serait-elle sous l’influence de quelque produit licite ou illicite ? Serait-elle tout simplement la victime insoupçonnée de cette soit-disant nouvelle maladie du siècle, le manque d’attention ?
Si cela était vrai nous aurions de sérieux soucis à nous faire quant à notre futur et à notre sécurité car que penser du chirurgien qui ne pourrait se concentrer plus de quelques instants sur l’opération qu’il réalise, quelle confiance accorder au pilote de ligne, au conducteur de TGV, au comédien en représentation ou à tous ceux qui doivent impérativement être en parfait contrôle de leur activité ?
Fonder notre raisonnement sur ces hypothèses ne nous mène nulle part car elles aboutissent à une impasse et tous les palliatifs du monde ne feront que repousser la question sans jamais la résoudre. C’est un peu comme si on glissait la poussière sous le tapis. Jusqu’où faudra t’il réduire les temps d’apprentissage pour conserver quelques instants d’attention, serait la suite logique de notre interrogation. Alors, mieux vaut les évacuer une fois pour toutes.
La bonne question est alors, pourquoi un apprenant va soudain, décrocher de son étude et là, nous entrons dans le vif du sujet, si je puis dire.
Si nous partions du principe que l’attention est une quantité limitée de quelque chose, nous pourrions clore le débat à cet instant et toute explication serait vaine.
Mais il n’en est rien. L’attention est directement liée à l’intérêt que l’on porte à un sujet, à un objet ou à une situation. Ce n’est pas une quantité limitée. Qui n’a pas expérimenté le fait d’être captivé par un film dont le scénario, les dialogues et la réalisation étaient d’excellente facture et de ne pas décrocher un instant ? A contrario, un film médiocre, lent, sans dialogue va générer de multiples bâillements et une envie irrésistible de consulter son smartphone ou d’aller prendre un verre en heureuse compagnie.
Le facteur ayant le plus fort impact sera donc l’intérêt que le concepteur va pouvoir injecter dans sa réalisation. Maintenir l’intérêt, voilà l’élément clé. C’est lui qui va déterminer la longueur adéquate d’un module e-learning. Tant que l’on peut maintenir un haut niveau d’intérêt, on peut continuer. Quand les moyens font défaut, alors il est temps d’arrêter et de trouver une conclusion.
Pour autant, cette conclusion ne doit pas être inopportune. Il faut qu’elle corresponde avec une réalisation tangible, un résultat atteint si l’on veut bénéficier du plein potentiel de la formation suivie.
A titre d’exemple et pour illustrer ces propos, je peux citer une expérience récente et très précise.
Il s’agit d’un module e-learning d’une durée totale d’une heure environ. Il est découpé en chapitres de 4 à 7 minutes et peut être suivi chapitre après chapitre. Un apprenant m’annonce qu’il va commencer cette formation mais ne dispose que d’une dizaine de minutes, quinze tout au plus et qu’il la suivra en plusieurs séances.
Ceci ne pose aucun problème puisque le découpage du module est prévu pour cela.
Mais quelques heures plus tard, il me rappelle en me disant la chose suivante : « j’ai commencé la formation en me fixant comme objectif d’y consacrer un quart d’heure, mais à ma grande surprise j’ai relevé la tête une heure plus tard en m’apercevant que j’étais allé jusqu’au bout d’une seule traite. L’enchaînement était captivant et je n’ai pas pu m’arrêter en si bon chemin ».
Cette expérience est intéressante car elle illustre bien l’impact de l’intérêt sur l’attention quand bien même la volonté était à l’origine de consacrer un temps limité à l’action.
Maintenir l’intérêt certes, mais qu’en est-il vraiment ? Comment faire ? Qu’est-ce qui va permettre de faire vivre cet intérêt au fil des minutes qui s’écoulent ?
Toutes ces questions sont légitimes et le concepteur de scénarii e-learning devrait se les poser dès le départ.